Alexandre Huot, L’attelage de chevreuils dans La ceinture fléchée 1926
L’hiver était hâtif, cette année-là. On n’en était qu’au 25e jour de novembre et déjà la campagne était blanche de neige. La traditionnelle bordée de la Sainte-Catherine avait été beaucoup plus forte que d’habitude. Il était tombé plusieurs pieds de neige. Les clôtures qui divisaient les champs étaient invisibles presque partout. Chose sans précédent à cette saison de l’année, les raquetteurs pouvaient exercer leur sport favori sans risquer de casser leurs raquettes en sautant les clôtures.
« Hue donc ! Cerf-Volant. »
L’homme confortablement assis dans une longue traîne sauvage tirée par deux élégants chevreuils filait à une rapidité folle sur la neige lisse et craquante que le froid vif avait durci.
« Hue donc ! Pommette ! » cria-t-il au second chevreuil au moment où les deux bêtes montaient, rapides comme l’éclair, un banc de neige qui dérobait une clôture à la vue.
L’homme était emmitouflé dans un chaud mackinaw au collet relevé. Sa figure était à demi cachée sous un épais casque de fourrure que la vieillesse rendait innommable. Sa voix était rude comme celle des coureurs des bois, rude à faire peur à un enfant.
Il monologuait :
« Ma femme aurait dû venir à cette veillée. Mais Philomène est comme ça ; elle ne veut jamais sortir. Pas moyen de la décoller de la maison. Son mari n’est pas si bête. Il ne manquerait pas une veillée où il y a du whiskey, peut-être du rhum ! Il serait bien fou de le faire, hein ? Cerf-volant, ma bonne bête ! Allons, chevreuil, je t’ai baptisé Cerf-Volant. Fais honneur à ton nom ; vole, vole. Plus vite encore. Nous sommes encore à 20 bons milles de chez le père Lacasse. Il fait déjà sombre. La nuit va bientôt tomber. Si le temps se couvre, il va faire noir comme chez le diable. Faudra aller doucement. Gagnons du temps en attendant. Hope-là, vite, au galop ! Cerf-Volant ! Remue-toi, Pommette ! »
Activés par la voix de leur maître, les deux chevreuils dociles augmentèrent de vitesse.