Passer la publicité
Passer la publicité

Maxime Tandonnet, la probité et le tourment de la France

Maxime Tandonnet, en janvier 2014. Jean-Christophe MARMARA/Le Figaro

DISPARITION - Le haut fonctionnaire et historien, fidèle auteur des pages Débats du Figaro et de FigaroVox, est mort brutalement d’un AVC à l’âge de 65 ans.

Passer la publicité

Il existe encore des hauts fonctionnaires qu’angoisse l’avenir de la France, et non leur carrière. Maxime Tandonnet, qui vient de mourir soudainement, emporté par un AVC à l’âge de 65 ans, était de ceux-là. Inspecteur général de l’administration et historien, l’homme était un modèle d’honnêteté et de désintéressement. Étranger à toute vanité, indifférent à la publicité, il faisait songer à un clerc. À l’âge où on choisit une profession, ce dernier avait résolu de servir l’État comme d’autres entrent dans les ordres, en renonçant aux séductions du monde et aux mobiles ordinaires. Il honorait en outre l’équipe du Figaro de sa confiance totale et de sa magnifique fidélité. Les lecteurs des pages Débats de notre quotidien et de FigaroVox, auquel l’auteur participait depuis le premier jour voilà déjà dix ans, avaient la chance de savourer régulièrement ses textes que sous-tendait une exigence permanente d’authenticité.

Né à Bordeaux en 1958, Maxime Tandonnet a été élève de l’Institut d’études politiques de cette ville. L’IEP de Bordeaux, qui avait ouvert ses portes dès l’après-guerre, était alors réputé pour la qualité de son enseignement en droit public. Fort de ce bagage, complété par une maîtrise de sciences politiques obtenue aux États-Unis, le jeune diplômé réussit le concours de secrétaire des affaires étrangères. Après son service militaire dans la marine nationale, le voilà en poste à l’ambassade de France au Soudan de 1983 à 1985, rude apprentissage. Le fonctionnaire découvre un pays marqué par le legs de siècles de traite des Noirs arabo-musulmane et déchiré par une guerre civile. De retour en France, il sert à la direction Afrique du Nord et Moyen-Orient du ministère, puis à la direction des Français à l’étranger.

La question de l’immigration

Maxime Tandonnet réussit ensuite le concours interne de l’École nationale d’administration (promotion Condorcet, 1990-1992). S’il est bien un énarque qui, toute sa vie, démentira les reproches qu’on a coutume d’adresser à cette corporation (prétention, carriérisme, parisianisme, culte de la forme administrative plutôt que souci du résultat concret), c’est bien lui. Au terme de sa scolarité, celui-ci devient administrateur civil au ministère de l’Intérieur et rejoint le corps préfectoral avec le rang de sous-préfet. Les hasards de la vie administrative le font affecter à Tours aux côtés de Claude Érignac, futur préfet de Corse qui sera assassiné, à Versailles puis à Saint-Jean-de-Maurienne.

L’expérience de Maxime Tandonnet dans la diplomatie puis, surtout, au sein du corps préfectoral, lui fait mesurer peu à peu l’importance croissante de la question de l’immigration, pour laquelle il n’éprouvait pas, à l’origine, un intérêt particulier. En 1996, de retour à l’administration centrale à Paris, il se spécialise sur ces questions et, au sein des services du ministère, se trouve en première ligne pour concevoir la position de la France dans le cadre des négociations sur la politique d’asile et d’immigration à Bruxelles. Ces responsabilités nouvelles le conduisent à travailler avec Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’Intérieur de 1997 à 2000, pour lequel le serviteur de l’État éprouve une vive considération. Arrive la présidentielle de 2002 et la réélection de Jacques Chirac. Nicolas Sarkozy accède au ministère de l’Intérieur. Et tout naturellement, Maxime Tandonnet concourt, avec quelques autres administrateurs civils, aux lois sur l’asile et l’immigration que l’hôte de Beauvau fait adopter.

Parallèlement, le haut fonctionnaire, de plus en plus convaincu de la paralysie du pouvoir politique en matière d’immigration, multiplie les livres sur le sujet pour susciter un débat public. Son inquiétude croissante se constate aux titres successifs de ses ouvrages: Le Défi de l’immigration (2003), Immigration: sortir du chaos (2006), distingué par l’Académie des sciences morales et politiques. C’est à l’occasion de la publication de ce dernier livre que l’auteur de ces lignes fit la connaissance de celui qui allait devenir un ami si fidèle. La voix de Maxime Tandonnet était douce, ses costumes discrets et il émanait de tout son être une modestie presque confondante.

Nicolas Sarkozy, revenu à l’Intérieur en 2005, l’appelle à son cabinet, puis en 2007, à l’Élysée pour traiter les mêmes sujets. Enfin, on va pouvoir agir vraiment, espère le haut fonctionnaire. Il sera cruellement déçu. Confronté à la lourdeur de la machine administrative, la bonne volonté très variable des bureaux, la pression médiatique, l’activisme associatif, le militantisme de certains magistrats, le contrôle vétilleux de quatre hautes juridictions et un feu roulant de directives européennes, l’autorité politique tend à baisser les bras sur ces questions où il est si tentant de prendre la pose de l’humaniste au grand cœur. Maxime Tandonnet devient lui-même une cible pour des militants et, indifférent envers l’intrigue, étranger à la flatterie, il vérifie bientôt son isolement ainsi que le jugement de La Bruyère: «Vous êtes homme de bien, vous ne songez ni à plaire ni à déplaire aux favoris, uniquement attaché à votre maître et à votre devoir, vous être perdu». Il doit quitter l’Élysée en 2011 et se rétablit au cabinet du ministre de l’Intérieur, Claude Guéant. L’homme livrera son expérience amère du pouvoir dans un livre qu’il faut lire, Au cœur du volcan - Carnets de l’Élysée (Flammarion, 2014).

Boulimique de travail

Dieu merci, il y a aussi l’histoire et l’écriture. Au cours même de la présidence Sarkozy, ce boulimique de travail publie une étude passionnante sur la manifestation interdite des étudiants parisiens au début de l’Occupation, 1940: un autre 11 novembre (Tallandier, 2009). Puis Maxime Tandonnet donne tour à tour au public Histoire des présidents de la République (réédité en Tempus, 2017) et un livre qui laisse deviner une blessure personnelle, Les Parias de la République (Perrin, 2017), consacré à des personnalités publiques décriées de façon irrationnelle à ses yeux, comme Jules Moch. Ce même souci de réparer les injustices de la mémoire collective lui fait publier André Tardieu, l’incompris (réédité en Tempus, 2024), belle biographie d’une figure de la droite de l’entre-deux-guerres qui inspirera de Gaulle. Il pousse ensuite la liberté d’esprit jusqu’à écrire, toujours chez Perrin, un livre rigoureux sur un autre grand brûlé de l’histoire politique française: Georges Bidault, l’ancien bras droit de Jean Moulin qui lui succéda à la présidence du Conseil national de la Résistance avant, bien plus tard, de devenir un pestiféré pour avoir persisté à défendre l’Algérie française en 1961 (sans cependant jamais appartenir à l’OAS selon son scrupuleux biographe).

Maxime Tandonnet n’en demeurait pas moins le spectateur tourmenté de la médiocrité de notre vie publique et de l’impuissance de l’État, dans nos colonnes, sur son blog et sur les réseaux sociaux. L’auteur trouvait dans l’histoire un refuge et une consolation. Mais, s’il est permis d’avancer une hypothèse, le cœur de ce serviteur de l’État saignait tant du marasme de la France que son souci du bien public, malgré son amour de la vie et de sa famille, a peut-être affecté sa santé elle-même.

Passer la publicité
Passer la publicité
Passer la publicité

Maxime Tandonnet, la probité et le tourment de la France

S'ABONNER
Partager

Partager via :

Plus d'options

S'abonner
Passer la publicité
Passer la publicité
19 commentaires
  • Rose des vents

    le

    Il faut lire, sur son blog, « Qu’est-ce qu’un homme d’État? ». À méditer.
    Paix à son âme.

  • Rhodanien

    le

    Il répondait parfois aux commentaires, c'est rare. Il permettait par ses analyses et son expérience à mieux comprendre l'actualité, il va manquer. Bon vent. Pensée à ses proches.

  • anonyme

    le

    Merci et félicitations pour ce bel hommage qui, avec des mots très justes, décrit admirablement la personnalité attachante de Maxime Tandonnet, que j’ai bien connu et apprécié quand j’étais moi-même en fonction au ministère de l’intérieur dans le service de l’immigration Il avait, en effet, une modestie, une probité et une rigueur intellectuelle bien rares dans la haute administration.. Je m’associe à la peine de sa famille et de ses amis.

À lire aussi

Budget 2025 : le temps de la revanche fiscale

Budget 2025 : le temps de la revanche fiscale

L’ÉDITORIAL DU FIGARO - Alourdissement de la fiscalité sur le capital, sur les hauts revenus, augmentation de la flat tax… Nos députés s'en sont donné à cœur joie en commission des finances.